
La relique
Au gré des vagues et du courant maritime, la relique errait d’une mer à l’autre. Certains oracles l’avaient vu surgir de profonds abîmes, toute faite pour nous interroger. Nous l’aperçumes au loin fendre les eaux pourtant sans nageoire ni rame ni voile ni moteur. D’un commun accord, nous embarquions dans nos pneumatiques pour la traquer avec nos rets. Mais la relique était savonneuse. Elle glissait continuellement et zigzaguait avec facilité entre nos grappins. Elle tordait nos fourches, passait sous nos coques puis au-dessus de nos têtes, rompait nos lances et aspirait nos ventouses. Tantôt de forme cubique tantôt ovoïde, cette matière nouvelle faisait zoup, jamais de boum. Aucune technique ne pouvait l’arrêter. « Laissons-la à sa guise… » a dit un homme exténué. Alors un visage s’est formé sur la relique et il souriait.

Regard
Quand on s’est regardé,
une lumière noire s’est allumée,
profonde et brûlante.
L’ombre blanche qui en émanait
scintillait comme l’eau des lacs parfois.
Nos yeux immobiles et mous
ne pensaient plus.
Et puis la seconde d’après
est venue.

Plus là
Au terme d’un combat de boxe interrompu dès le premier round par un KO stupéfiant, Isabelle prend son courage à deux mains et court à la rencontre du grand gagnant, Marco. Elle entre discrètement dans les coulisses et l’aperçoit tout transpirant au seuil de sa loge. « Attendez ! Votre victoire a beaucoup compté pour moi ! » Il se retourne dans ce corridor où le brouhaha de la foule quittant les gradins persiste à travers les murs. « Vraiment ? » Demande le boxeur. À ce moment, Pascal son manager approche : « Tu fais l’autographe et tu viens dans mon bureau. On doit se parler. » « Plus tard. » Réplique Marco et Pascal, incrédule, s’en va sans mot dire. « Où en étions-nous ? » Reprend le vainqueur tourné vers Isabelle. Curieusement, elle n’est plus là. Marco part aussi. Plus personne n’est là.

Intrigue en vase clos (au bois de Vincennes)
Une grande forêt verte comme s’il en existait des petites.
Une forêt verte comme s’il y en avait des rouges.
Une comme s’il en était d’autres.
Comme si j’y étais.
Lentement une voix d’abord sourde s’approche puis se distingue d’un ton péremptoire, en haut, quelque part.
Apparition molle d’un bourdon messager
fixé dans les airs chauds de cet après-midi.
C’est la bestiole abiotique, héliportée, piteuse.
Suivie au sol de trois types verbalisateurs.
On s’y croirait.

Cris
Caneton : pi-pi-pi-pi-pi !
Lionceau : groar !
Chaton : miaou !
Éléphanteau : brrrou !
Petit papillon : flap-flap
Petite limace : lhh
Baleineau : *sonar*
Le vol d’Hector
Dans un magasin de vêtements d’un centre commercial tapi dans la ville, on trouvait des t-shirts bariolés, des manteaux vintages, des jeans au rabais, des caleçons élégants. Hector y mit un pas plus hardi que jamais et repéra de son oeil vif un bonnet à pompon bleu. Il s’avançait vers l’étalage à l’angle mort des vigiles et des caméras scrutatrices. D’un geste souple et précis, il empoigna le couvre-chef par la boule onctueuse et le glissait dans son froc. Alors ça a commencé. Son membre tout en se gonflant s’emmitouflait dans le pompon. C’était doux et encore frais. Hector prenait un air du genre : « Je fais du shopping, quoi de plus anodin. » Mais il était désemparé par cet effet qu’il n’imaginait pas si agréable. Son chichi était au fond, dans l’épicentre tendre et de plus en plus chaud du pompon. Le jeune homme alla voir les écharpes, il en prit une 100% coton, fine, bio et douce comme un pelage de chat. Il se baissa et l’enroula autour de sa jambe nue, feignant de refaire ses lacets et il retroussa son pantalon par dessus. Une chaleur soudaine le saisit à la cheville, traversa son genou et lui monta jusqu’à la tête. Il fut pris d’un début de transe, c’était le moment de partir. Vers la sortie, Hector remarquait une paire de lunettes de soleil pourpres faites d’un épais plastique. Il insérait la solide paire dans la poche intérieure de son manteau. Une branche s’appuyait sur son téton. Il contenait avec peine une grimace de plaisir. L’adrénaline unifiait chacune de ses expériences, il sentait son cœur battre au niveau de ses tempes et ses yeux clignaient au rythme de flexions aléatoires de ses orteils. Plus que quelques pas le séparait de la sortie, de l’alarme et du péril d’être repéré, interpellé et fouillé.
La main, les doigts et le piano
L’arbre, le tronc et la tronçonneuse.
Le pastis, l’eau tiède et la gorgée.
Les carottes, la république et les haricots.
Le tupperware, la purée et le réchauffé.
Le gris, la pluie et le nez mouillé.
La plage, le cheese et le flash.
Le soupçon soufflé à l’oreille et l’oreille.
Le bitume, les étoiles et les toits.
Le comment, le ça et le va.
Le Hun, la une et le etc.
La pensée, la poussière et le courant d’air.
Le triste sort, la mélancolie et l’appui-tête.
La chaise à bascule, la surprise et la chute.
Le début, le départ et l’aube.
Le doux, la tendre et le mou.
La télévision, le télétravail et la télékinésie.
Les coins-coins, les miaous et les ouafs.
Le ménestrel, le sitariste et la perplexité.
Le sel, le sucre et la boue.
Le doute, le marc et l’horoscope.
La main, les doigts et le piano.

Méditations I
Chaque fois que le symbole * apparait, c’est l’invitation à la pause et à la méditation :
*
Si on met tout à plat, il y a des choses qui changent de forme et d’autres qui ne changent pas de forme.
Exemple : Les chateaux forts changent de forme. Les œufs au plat ne changent pas de forme.
*
Un escargot a la même taille, à peu près, qu’un petit crabe. Un moyen-gros crabe a la même taille, à peu près, qu’un visage.
Qu’est-ce qui distingue le concept de métamorphose du concept de l’à peu près ?
*
Le mot « estuca » existe par le fait qu’il est écrit ici. Il existe aussi si on le lit à l’envers « acutse ».
Tout comme le mot « chonbar », à l’envers « rabnohc ».
Ces deux mots existent donc d’au moins deux façons.
Quand existe-t-on ?
*
Selon une étude franco-allemande une bouteille de champagne peut produire jusqu’à 100 millions de bulles.
Et à l’envers ça donne « bulles de millions 100 jusqu’à produire peut champagne de bouteille une franco-allemante étude une selon ».
*
Elle est partie, elle ne reviendra pas. Maintenant je dis qu’elle est revenue. Est-ce que je me suis démenti ? ou est-ce qu’elle n’est pas vraiment revenue et alors j’ai menti. Peut-être aussi n’était-elle jamais partie et j’aurai donc tout inventé. Qui sait ?
*
C’est la première fois qu’un looong mot est beaucoup plus petit qu’un petiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiit mot. En somme, c’est un inédit.
*
On a beau dire. On a beau faire. On reste on.
*
Méditations II
Chaque fois que le symbole * apparaît, c’est l’invitation à la pause et à la méditation :
*
Pourquoi ?
La prof de maths dit « Bien formuler sa question, c’est déjà avoir un élément de la réponse ». La prof de SVT dit « ‘Pourquoi’ c’est pour la philo, autrement on préfère ‘Comment se fait-il que’ ». Et la prof de philo dit « ‘Un chien a quatre pattes’ c’est un concept » ce qui ne répond pas à la question. Mais bien formuler sa réponse, est-ce déjà avoir un élément de la question ?
*
Un métro est un tunnel mouvant, flexible et compartimenté.
Une cigarette est un petit tunnel portatif, obstrué et un peu mou.
Est-ce qu’un adjectif décrit ou transforme ?
*
Il se peut que le temps ait la forme d’un tunnel circulaire, un cercle vertueux, sans début, ni fin. Mais il se peut qu’il n’ait aucune forme. Jetons de l’eau avec un sceau depuis le haut d’un immeuble. Nous n’avons pas le temps de voir la forme de l’eau pendant sa chute alors nous nous disons « Cette eau ne semble pas avoir de forme, comme le temps ».
*
Un raisonnement compliqué peut tendre à la supercherie. Un raisonnement simple peut porter à la caricature. Peut-être qu’il y a un juste-milieu, comme un tunnel reliant la supercherie à la caricature.
*
Le raisonnement par l’absurde est mathématiquement viable, ce qui laisse entrapercevoir un monde étonnant, exemple : Si un papillon est un éléphant et qu’une fourmi est un cheval alors un rat est…
*
L’opposé d’un tunnel, c’est une impasse. Ou une colonne. Ou alors c’est un pâturage alpin, avec des vaches et des ânes bondissants dans tous les sens, les papillons passants par-ci, par-là. Tout dépend de l’idée que l’on se fait du tunnel.
*

Potins pour s’endormir
Si on résume, Maxence, l’éternel célibataire, qui est l’oncle de Rodolphe, a une sœur par alliance, Agnès, la fille adoptive de Annie, tu sais… la mère poule de Rufus, mais oui… lui là… le cousin de Rodolphe. Eh lui… il a une belle-mère, Bernadette… Vachement bien roulée, soit dit en passant. Bon ben… Maxence a un crush avec Bernadette, c’est un peu ça qu’on dit. Mais Bernadette ne peut pas tenir cette histoire maintenant, et malgré ses sentiments, surtout avec Maxence, que connaît déjà, que trop bien, son mari, le possessif José. Mais ça se complique et suis moi bien. José a trois filles de son ancienne union avec Andromaque, joli prénom, et leur cadette, Julie, a eu apparemment une liaison avec Agnès… Oui. Liaison totalement secrète, sauf pour Andromaque, qui me l’a dit, qui les a vu s’emballer franchement au parc Isidore Isou l’été dernier. Elle s’en fout Andromaque, elle en a vu d’autres… mais elle a eut du mal à cacher sa surprise quand Julie lui a annoncé, deux jours après, ses fiançailles avec Rodolphe. D’autant plus que la fille aînée d’Andromaque, Constance a toujours dit que Rodolphe, qui est son collègue de la Défense, est un con fini. Le pire c’est que dans tout ça, hier, j’ai croisé par hasard Rufus main dans la main… pour pas dire la main au cul… de la cadette de Constance, Cassiopée, la marrante Cassiopée. Je l’ai appelée dans la soirée, pour lui dire que Rufus est un manipulateur, je crois hein… et qu’il a déjà causé de gros tourments à Gaby, la sœur de Rodolphe. Elle m’a raccroché au nez. Mais je sais bien qu’elle finira par s’en apercevoir. Elle est débrouillarde en plus, aux dires de Jacques, le neveu super-actif de Maxence, qui a le regard plutôt fin, je dois dire. Mais Gérard tu sais… avec ça, si on part en rando dans le Vercors comme tu nous l’as proposé à… eh bien… Andromaque, Maxence, Agnès et moi. Il faudra surtout pas qu’on parle d’Alphonse. Non. Ou alors avec des pincettes et pas trop longtemps… Il trouve toujours le moyen de… Il sait tout sur tout. Mes informations pourraient lui revenir sans qu’on ai tilté. Tu sais avec les smartphones maintenant… Enfin bonne nuit.
Rêve
Elle est debout. Elle se déplace. Elle se rend à un lieu. Elle y reste. Elle fait le strict nécessaire. « Bonjour, merci, aurevoir » depuis son secrétariat. Puis… Elle sort du lieu. Elle se déplace, elle gratte sa tempe, elle regarde au loin, un arc-en-ciel, elle ferme les yeux, elle parle toute seule, elle s’énerve, elle se tait, trébuche une fois, rouvre les yeux et… En fait c’était un rêve qu’elle avait fait. Ah les rêves… toujours des histoires à dormir debout. En même temps c’est pas mal pour l’inspiration. Sauf quand il ne s’y passe pas grand chose. Bien que l’atmosphère du rêve suffit en soi. Tellement c’est toujours un peu bizarre les rêves. Ou étrange quoi. Comme un gaz quelconque ou une branche de bois un peu nouée. Ou comme un accouphène après un concert de hardcore par exemple, alors il faut attendre le lendemain que ça passe. Même si pour certains c’est pas étrange parce qu’ils vont régulièrement à des concerts de hardcore donc ils sont habitués. Oh et à chacun ses goûts. Et puis on peut aimer le hardcore et la musique classique à la fois, à la même intensité. Et puis la musique classique c’est large, ça englobe pas mal de tempéraments. Demain, penser à acheter du liquide vaisselle. Un arc-en-ciel… c’est quand même pas tous les jours. Et encore moins dans un rêve alors pourquoi elle a fermé les yeux ? Elle est bizarre quand même. Ou alors sa journée était vraiment naze, ça arrive. Mais demain c’est dimanche ! Ah mais non ça va. Bon. Elle est debout. Elle se déplace. Nia nia nia. N’importe quoi, personne dit ça. Pis j’irai lundi.

La Vazuviade – Chant I
. Chante, Déesse, l’étonnement de Bastien aux mollets solides, chauffeur de bus le jour, dans la ville de Vazuve, écrivain la nuit. Chante sa surprise parce qu’un copain de jeunesse qui s’appelle Jérôme a reprit contact avec lui, par Facebook, et ils se sont accordés un déjeuner, en guise de retrouvailles, à la brasserie de la gare vazuvéenne aux trains prompts. Qu’était devenu Jérôme à la langue bien pendue ? Quel dieu lui avait dicté de venir voir son copain d’antan ? C’est Apollon, fils de Latone et de Zeus, qui avait soufflé à l’oreille de Jérôme de reprendre contact. Bastien allait, marchant, vers la brasserie de la gare, en ce jour de mi-saison, et il pleuvait comme si des arrosoirs géants s’étaient penchés dans le ciel. Quand Bastien arriva, il trouvait Jérôme installé à une table en terrasse, abritée par de grands paravents aux rayures blanches et roses. Ils commandèrent chacun un steak frites au serveur aux sourcils grisonnants ; saignant pour Bastien, à point pour Jérôme. L’aimable serveur leur apporta une carafe d’eau fraîche, des verres et des sauces en attendant les assiettes pleines. Après quelques propos comme si de rien était, Bastien s’éclaircit la voix et dit :
. – Toi, artificieux Jérôme à la longue faconde, maintenant fais moi part de tes motivations. Dis d’où tu viens et comment tu es venu jusqu’ici, à Vazuve, ville où je loge, travaille, dors et dîne, en un jour aussi humide que si le ciel était garnis d’arrosoirs penchés. Nous nous sommes perdu de vue, à Furges, il y a plusieurs années, il n’y avait pas de froid entre nous mais ton souvenir m’a laissé une amertume que j’exprime encore parfois par des soupirs longs et bruyants. Parle, mais ne te retiens pas.
. Jérôme se servit un verre d’eau limpide, en bu une gorgée et dit :
. – Bastien aux mollets solides, ta demande est faite avec peu de tact et beaucoup d’agitation en ce deuxième lundi de mars où les nuages sont comme des arrosoirs penchés, pourtant je comprend ta surprise et elle ne m’indiffère pas. Laisse moi esquisser de paroles ailées mon périple, celui-ci n’est pas court mais je m’emploierai à ce qu’il s’écoute facilement. Fils de Claire et de Serge Norval, je suis né dans l’aisance en Dordogne à Nontron où l’on trouve du bon pain et des ongles hebdomadairement limés aux mains de ces messieurs. Après la reconversion professionnelle de mon père Serge dans le commerce de chaussures, mes parents et moi avions emménagé à Furges dans la Somme afin que mon père y fasse entreprise. J’avais quatorze ans quand, au collège de Furges, je t’ai rencontré. Nous étions en classe de troisième, Bastien, tu avais les mêmes cheveux bruns que maintenant, mais plus longs, et ton seul pull-over était d’un bleu vif comme l’électricité. Les filles ne nous intéressaient que secrètement et nous préférions user de nos temps libres pour griffonner des guerriers de feu dans nos agendas scolaires. Je me rappelle de cet instant où l’une des filles qui me plaisait secrètement avait ouvert mon agenda quand j’eu le dos tourné, elle avait rit sans mesure de mes dessins qu’elle avait qualifié de moches. J’avais eu la face rouge de honte et je m’étais caché dans les toilettes en attendant la fin des cours afin de laisser aller furtivement mon désarrois. Tu m’y avais rejoint et m’avais consolé avec des mots maladroits. Ce souvenir laissait en mon cœur le goût d’un café froid. Au sortir de mes courtes études, j’ai rapidement relayé mon père, déjà vieux, à la direction du magasin de chaussures. Au début, j’ai pu mener la boutique en de bons termes avec une clientèle toujours affluente dans la ville de Furges aux toits azurés. Mais un jour d’hiver, un jeune entrepreneur s’est installé en face de mon enseigne, il se nommait Thibault, il avait monté une boutique aux parures modernes proposant des espadrilles souples et fermes et des étranges bottes de velours à prix cassé. J’ai appris plus tard que le divin Hermès l’appréciait et lui portait de bons conseils. La clientèle Furgeoise changea ses habitudes, me délaissant sensiblement. Mes comptes se réduisaient et je me rapprochais du dépôt de bilan. De même, un poulet, après avoir couru à vive allure au sein de la basse-cour, se trouve décapité par la hache du fermier qui juge bon de le déplumer et de le cuisiner ; sa tête ayant été stupéfiée, le corps du poulet court encore un peu dans la cour, les ailes en joie, le cou comme un geyser, indépendamment de sa présente infortune ; de même, je continuais de me promener le soir, parmi les écureuils autour du lac de Furges, insouciant du déficit vers lequel mon entreprise était dirigée. Ayant peu à peu retrouvé mes esprits, je maudissais la libre concurrence et me mis à liquider l’entreprise, mettant mes quatre employés à la porte de façon si soudaine qu’ils ont d’abord pensé à une blague. La colère de mon père suivit de près cette nouvelle, sentant le parjure et mettant en cause mes capacités d’entreprendre, il me bannit de la ville de Furges aux toits azurés. C’est un premier octobre, je me souviens, que je t’ai fais salut de la main, Bastien, toi qui vivait encore à Furges. Toi qui voyait, au volant de sa Maserati, le départ précipité d’un infortuné.
À suivre…

La Vazuviade – Chant II
. Jérôme se tut quand les steaks frites furent servis et le serveur aux sourcils grisonnants ne se trompait pas ; à point pour Jérôme et saignant pour Bastien. La nourriture était bonne et chacun y allait de son rythme. Bastien s’était un moment abandonné au plaisir des pommes frites et le silence n’était certainement pas source d’inconfort, mais source d’évanescence, là d’où toutes les digressions possibles pouvaient affluer dans la tête du Vazuvéen et de son hôte. Puis Bastien releva la tête et dit :
. – Ingénieux Jérôme, ce que tu m’a dis je le savais dans les grandes lignes, mais il fut bon de me le rappeler, mais le service fut fait et tu as stoppé ton récit. Continue-le car c’est la suite que je ne connais pas. Allons, ne crains pas de parler la bouche pleine, peu m’importe tes manières puisque tes paroles m’intéressent avant tout.
. Jérôme, enfourchant son steak, fit coulisser la lame de son couteau à travers la chair, il en sépara un morceau, et le mouvement ne s’arrêtait pas car il coupait quatre frites situées à côté, deux furent tranchées dans le sens de la largeur, une en diagonale et une plus petite dans le sens de la longueur. Jérôme dit alors ;
. – Bastien fils de Mathilde et de Côme Breudan, je poursuivrai mon récit quand je serai repu. Laisse manger un homme qui a faim.
. Il dit et mordit le morceau enfourché. Les deux hommes se toisèrent du regard. Cette fois-ci le silence était solennel, et les deux messieurs irrités terminèrent le repas dans une atmosphère semblable à celle qu’Arès le belliqueux sait établir. À la fin, ils commandèrent tous deux un café à emporter et, après avoir payé, ils le burent à petite lampées traversant les rues ensoleillées de Vazuve aux pierres lisses et aux fenêtres carrées. En effet, on aurait dit que Zeus fils de Cronos avait redressé les arrosoirs dans l’éther et qu’ils n’étaient plus penchés. Mais, plus bas, sur terre, lequel des deux comparses brisera le silence depuis peu enclenché ? Et là, quel fut le premier et quel fut le dernier de ceux que croisèrent Bastien aux mollets solides et Jérôme au regard sec le long des rues de Vazuve ? Bastien, chauffeur de bus le jour familier de nombreux Vazuvéens, salua d’abord Chlotide, Clara et Damien, Thomas fils de Théo, Laura et Nathalie soeurs jumelles, Octave aux lunettes obscurcies, Hélène fille d’Augustine et de Zeus dieu des hommes et dieux, celui-ci se transformait en nuage régulièrement sous les lunes d’automne afin de rejoindre sa maîtresse dans sa chambre à coucher, cela avant que la divine Héra, son épouse, n’apprit très irritée la tromperie et qu’elle ne changea à jamais l’infortunée Augustine en luciole. Tels furent les Vazuvéens que saluait Bastien. Puis les deux comparses vinrent s’installer sur un banc encore mouillé de la récente pluie, auprès du large fleuve Siros qui serpente lentement au milieu de Vazuve. Ici Bastien dit :
. – Jérôme aux milles astuces, tu as mangé, tu t’es promené, tu peux contempler le cours du fleuve Siros aux cent reflets étincelants, que te faut-il de plus pour donner suite à ton récit ? Quelles conditions manquent à ta verve ?
. Cela étant dit, Jérôme au smartphone envoyait quelques textos à sa promise, il remit l’objet dans sa poche et dit ces mots insondables :
. – Accommode toi du calme, impétueux Bastien, parce qu’il ne nous fait pas défaut et ton impatience ne précipitera pas ma verve. Mais je vais maintenant te conter la suite de mon périple parce que ton intérêt semble vif et il me semble bon maintenant de te la révéler.
. Mais déjà Bastien commençait à débloquer. Jérôme parlait longuement, Jérôme faisait jaillir tous les mots qu’il pensait bon d’expulser à travers la barrière de ses dents. Depuis son départ de Burges en Maserati, il eu plusieurs batailles à mener, certaines victorieuses, en Ardèche et en Bretagne, et certaines tombées en forfait, comme à Dijon, Jérôme avait vu la colère des dieux immortels s’interposer implacablement dans ses déboires, puis, par l’entremise d’Iris, il supposa leur discordes apaisées, pour un temps. Jérôme à la faconde étendue eu des amours en tumulte puis un seul, et tant de confidences annexées. Mais Bastien ne l’écoutait plus qu’à moitié, le lien qui reliait ces deux messieurs était là par le plus grand des secrets altéré. Bastien aux mollets solides l’eut vue, le lien se distendre. Et après un étrange au revoir, sur les quais de la gare de Vazuve, maintenant que Bastien, écrivain la nuit, est rentré chez lui dans son appartement du centre-ville, et que Jérome est reparti en train, chante d’autres choses, Déesse, car le lien s’est coupé.
Fin
La difficulté de lire un livre (2021)
J’ai essayé d’exprimer dans un texte ma difficulté à lire un livre, comme une expérience à la fois absorbante et malaisée. À chaque chapitre, je présentais un aspect de ma difficulté :
n°1 – Changer d’angle
n°2 – À qui l’auteur parle ?
n°3 – Me lire en même temps de lire
n°4 – Encourir ma lecture
n°5 – L’expression écrite
n°6 – Obtenir le livre
n°7 – En dehors du livre
n°8 – Ne pas penser aux difficultés
n°9 – Rester concentré
n°10 – M’arrêter de lire
n°11 – La banalité du geste
n°12 – Douter du sens
n°13 – Ne pas lire par procuration
n°14 – Utiliser mon imagination
n°15 – Être élastique
Je ne suis pas vraiment satisfait du texte fini pour l’exposer sur ce site. Mais voilà l’aperçu d’un imprimé et de ses illustrations :



